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PMU, France Galop : gros salaires, mauvaises affaires


Bien que les courses hippiques fassent de moins en moins recette, leurs organisateurs continuent de flamber. Le tiercé va-t-il faire faillite ?

Pour relancer les courses de chevaux, qui commençaient à tirer la langue, les hauts dirigeants de la filière hippique ont voulu prendre le taureau par les cornes. Après avoir longuement phosphoré sur le sujet, leurs trois directeurs de la communication ont fabriqué de toutes pièces en 2016 une sorte de Championnat de France du tiercé, censé établir un classement des meilleurs jockeys et faire revenir en masse public et parieurs aux épreuves les plus prestigieuses. Deux ans et 10 millions d’euros d’investissement plus tard, c’est la soupe à la grimace.

Non seulement cette innovation, baptisée EpiqE Series, n’a attiré personne dans les hippodromes, mais elle a fait fuir les joueurs et – c’est le comble – contribué à réduire le nombre de concurrents au départ des courses. Si bien que le PMU a décidé discrètement de l’abandonner. Cela n’a pas empêché ses trois concepteurs de s’en tirer avec les honneurs. Selon nos informations, l’un d’eux, la directrice de la communication du Trot, vient de reprendre sa liberté avec 400.000 euros d’indemnités en poche. Et l’on s’étonnera que les courses hippiques soient au bord de la faillite ! Erreurs stratégiques, gaspillage en pagaille, train de vie confortable, gouvernance opaque, copinage avec les grandes écuries qataries ou de l’Aga Khan… Les dirigeants de ce secteur, qui draine 10 milliards d’euros de mises par an, semblent avoir tout fait depuis des années pour jeter leur propre attelage dans le décor. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit tour du propriétaire s’impose.

Un monopole chahuté par les paris et jeux en ligne

En France, depuis 1891, le monopole de l’organisation des courses est détenu par deux associations jumelles, France Galop et LeTrot. Chacune dans sa spécialité décide du programme des compétitions, gère les principaux hippodromes et distribue sous forme de prix 575 millions d’euros du produit des paris aux éleveurs, entraîneurs, jockeys et propriétaires. Sans ces allocations, la filière entière et ses 30.000 emplois s’effondreraient. Pour gérer les paris, ces deux "sociétés mères" ont constitué un GIE commun, bien plus connu qu’elles, mais officiellement placé sous leur autorité : le PMU. C’est de lui que provient l’argent. Le PMU rend aux joueurs environ 75% des mises qu’il encaisse, il en reverse 9% à l’Etat et en garde à peu près 6% pour ses propres frais de gestion. Tout le reste, il le remet à parts égales à nos deux associations. Bon an mal an, ces dernières encaissaient ainsi entre 400 et 450 millions d’euros chacune.

Seulement, en 2010, un grain de sable est venu gripper cette belle machine : la légalisation des paris sportifs et du poker en ligne. Plus excités par les carrés d’as et les PSG-OM que par les canassons, des dizaines de milliers de joueurs, en particulier les plus jeunes, ont commencé à délaisser les guichets du PMU pour aller risquer leur argent ailleurs. Et le renouvellement des générations de turfistes a été stoppé, laissant les hippodromes orphelins de leur public. Le croira-t-on ? Lorsque nous nous sommes rendus sur celui de Saint-Cloud pour assister aux courses, fin septembre, nous avons d’abord pensé que nous nous étions trompés de date : les tribunes étaient désertes ! "En semaine, c’est comme ça tous les jours", soupire Mathieu Boutin, un entraîneur de Chantilly venu faire galoper ses pur-sang.

Pas étonnant que le montant des paris se soit effondré. En 2017, il a représenté 9,1 milliards d’euros, 1 milliard de moins qu’il y a dix ans. Et encore, ce résultat tient pour beaucoup à une poignée de grands parieurs internationaux – "bénéficiant d’informations privilégiées sur les enjeux (...)" données par le PMU, dixit la Cour des comptes –, qui ont engagé 793 millions d’euros. Les sommes reversées par le PMU à nos sociétés mères ont suivi le même chemin. L’an prochain, elles ne devraient pas dépasser 325 millions, 20% de moins qu’il y a sept ans. Comme ces structures n’ont pas le droit d’emprunter pour leurs dépenses courantes et qu’elles ont presque terminé de dévorer leurs réserves (elles détenaient 640 millions d’euros en 2014), elles risquent fort de se retrouver en cessation de paiement dès l’an prochain. A moins, bien sûr, qu’elles ne taillent sévèrement dans les allocations versées aux professionnels du secteur, au risque d’en acculer beaucoup… à la faillite.


Réformes contre-productives

Confrontés à ce défi, les dirigeants de France Galop, du Trot et du PMU auraient dû lancer dès 2010 un vaste plan d’économies dans leurs propres rangs et engager sans attendre des réformes pertinentes pour revigorer leurs compétitions. Au lieu de quoi, ces gros bonnets pas tellement rompus au management de crise n’ont fait qu’aggraver le mal. Pour contrer la désaffection des parieurs, ils ont d’abord choisi de multiplier le nombre de courses au-delà de toute mesure. Cette année, ils en ont organisé près de 17.000, contre 6.400 en 2006. "Puisque chaque compétition génère des paris, programmons-en plus et nous aurons plus de mises", ont-ils pensé.

L’ennui, c’est que ce raisonnement trop simple est un non-sens économique. Certes, la première année, l’inflation de l’offre a fait un peu de bien au PMU. Mais elle s’est vite avérée contre-productive. "C’est mathématique. Quand vous accroissez le nombre de courses, vous diluez les mises placées sur chacune d’entre elles, et par conséquent les gains que peuvent espérer les parieurs", décrypte Jacques Carles, créateur du think tank Equistratis. Or, quand les gains diminuent, les joueurs s’en vont… "Nous nous sommes administré nous-mêmes une pilule létale", reconnaît aujourd’hui avec franchise François Laurens, directeur financier du Trot.

D’autant que nos apprentis sorciers ont surtout multiplié les courses dites "à conditions", taillées sur mesure pour les meilleurs chevaux, au détriment des courses "à handicap", plus équilibrées puisqu’elles imposent aux cadors de porter plus de poids. Or les premières, qui réunissent en général peu de partants et sont souvent écrasées par un ou deux favoris, sont beaucoup moins prisées des parieurs. Au point que la plupart d’entre elles font perdre de l’argent à France Galop. "Il suffirait d’en remplacer une partie par des compétitions à handicap pour remettre le système à flot", s’égosille Frédéric Danloux, fondateur de l’Association des entraîneurs propriétaires. En vain. A France Galop (dont les dirigeants ont refusé de répondre à Capital), la consigne est d’augmenter encore et encore la proportion de courses à conditions.

Chevaux à 1 million d'euros

Pour comprendre les raisons de cet étonnant masochisme, il faut glisser un œil dans la salle du comité de cette noble institution. Dans cette assemblée de 56 membres largement cooptés (seul un sur trois est élu) et truffée de noms à particule, pas moins de 16 personnes sont ou ont été à un moment ou à un autre liées à Arqana. Cette société appartenant à l’Aga Khan (lui-même membre du comité de France Galop), qui joue les intermédiaires dans la plupart des ventes des pur-sang, ne vous dit peut-être rien. Mais elle est en quelque sorte le centre géométrique du business des chevaux de course. Attention, hein, pas du petit business des petits éleveurs et des petits propriétaires, qui représentent l’immense majorité du secteur. Non, celui du gros business, des haras première classe qui font payer 50.000 euros la saillie de leurs étalons or, et des grandes écuries où l’on entraîne des cracks à 1 million d’euros.

Egaliser les chances de tels prodiges avec les tocards dans des courses à handicap ? Ce monde-là n’en a pas même idée. Ce qu’il lui faut, ce sont des compétitions sur mesure, avec peu de partants, qui permettent de mettre en avant leurs champions afin de les revendre toujours plus cher. Voilà pourquoi Olivier Delloye, le patron de France Galop (lui-même ex-DG d’Arqana), organise autant de courses à conditions, quitte à faire fuir les parieurs.

Gaspillages en série

Afin de compenser leur défection, les hauts dirigeants de la filière hippique ont eu une autre idée de génie : diversifier leur activité en se mettant sur le créneau des paris sportifs et du poker en ligne. Il faut reconnaître qu’ils ont bien réussi, puisque le PMU est devenu le numéro 2 du secteur, derrière la Française des jeux. Cet apport de mises lui a permis de maintenir son chiffre d’affaires autour de 10 milliards d’euros. Le problème, c’est que ce business ne lui rapporte pas un sou. Au contraire, il génère des pertes, de sorte qu’il contribue à… diminuer les sommes que le PMU verse tous les ans aux sociétés mères – exactement l’inverse de l’effet recherché. Le plus incroyable, c’est que nos gestionnaires, qui ne disposent pas de comptabilité analytique, ont commis cette énormité sans même s’en rendre compte : lorsqu’on l’en a informé, l’an dernier, Olivier Delloye est tombé de la lune !

Passe encore si, parallèlement à leurs grosses bêtises, les patrons de l’institution des courses avaient géré avec rigueur leurs propres deniers. Certes, ils ont effectué çà et là quelques économies pour la forme, en fermant l’une de leurs deux (!) chaînes de télé, Equidia Life, ou en réduisant un peu le personnel de certains hippodromes. Mais pour l’essentiel, ce monde très élitiste, habitué depuis toujours à mener grand train à l’abri des regards – de l’aveu même d’un haut fonctionnaire de Bercy, les contrôles de l’Etat sont toujours restés "très superciels" –, a continué à empiler les gaspillages comme les sacs de picotin.

Les frais de communication, par exemple, n’ont jamais cessé de flamber, et pas seulement pour le projet EpiqE Series. Décidément très en verve, les dircoms des trois sociétés ont multiplié les opérations de pub décalées, pour des résultats mitigés. Celle consistant à envoyer de jolies hôtesses présenter du crottin dans un luxueux emballage aux passants médusés du quartier de l’Opéra, par exemple, n’a pas dû ramener beaucoup de parieurs sur les champs de courses. Pas plus d’ailleurs que les pince-fesses à gros devis, dont le milieu raffole. En 2016, par exemple, alors que ses réserves étaient déjà presque fondues, LeTrot a invité tout le gratin de la presse audiovisuelle (y compris des membres du CSA) à un week-end au Grand Hôtel de Cabourg, le magnifique cinq-étoiles de Marcel Proust, avec fruits de mer à gogo et repas de gala.

Plus ennuyeux, les directions de France Galop et du PMU ont cru bon de racheter en 2008 et en 2011 un groupe de presse hippique, baptisé Gény Infos, qui était en perdition. Le prix payé par le PMU (7 millions d’euros) pour la moitié des parts d’une société qui perdait 1,5 million d’euros par an et n’avait guère de perspective de développement interroge. Dès l’année suivante, le déficit avait d’ailleurs triplé. Au total, selon Patrick Lanabère, l’un des meilleurs connaisseurs de ce dossier, cette folie aurait coûté près de 30 millions d’euros.

Gros salaires

Pour les salaires de leurs 1.700 employés, en revanche, nos audacieux ont préféré jouer l’immobilisme. C’est bien dommage, car il y a de la marge. Selon nos informations, la rémunération nette moyenne des employés du PMU atteint 5.000 euros par mois, celle de France Galop 4.600 et celle du Trot 4.125 euros, primes de résultats confondues. Vu les fins de mois démentielles que s’octroient les cadres de ces structures semi-publiques (23.000 euros pour un dircom, plus de 30.000 pour un directeur technique), cela n’a rien d’étonnant.

En revanche, ces heureux employés ne peuvent plus bénéficier du régime de retraite surcomplémentaire archi-juteux (certains cadres à la retraite en tiraient 5.000 euros de bonus net par mois !) qu’on leur servait avec les gains non réclamés par les parieurs. En 2014, l’Etat a en effet exigé qu’il soit supprimé. Pour faire passer la pilule, chacun des 1.700 salariés des trois structures a tout de même eu droit à un chèque moyen de 31.700 euros, soit une dépense de 53,4 millions d’euros au total. Vous me direz, au point où on en est… Arrivé en mai dernier aux commandes du PMU, l’ancien rédacteur en chef de L’Equipe Cyril Linette (qui a refusé de nous répondre) a juré de faire le ménage. Reste à espérer qu’il mène ses réformes jusqu’au poteau d’arrivée.

La folie des grandeurs de France Galop

133 millions d’euros. C’est la somme colossale que France Galop a déboursée pour rénover complètement (ou plus exactement pour détruire et reconstruire) son hippodrome de Longchamp, dans le bois de Boulogne, à Paris. La société de courses espère ainsi rendre son lustre à ce lieu mythique et redorer l’image ternie des courses de chevaux. Mais son pari est doublement risqué. D’abord parce que l’association est au bord de la faillite et qu’elle n’avait clairement pas les moyens de s’engager dans un tel investissement. Et puis parce que cet équipement n’étant plein qu’une ou deux fois par an, il sera très difficile de couvrir les 20 millions de frais de gestion qu’il engloutit chaque année. "Ce n’était peut-être pas le moment de se lancer dans une telle affaire", reconnaît François Laurens, le directeur financier de la maison voisine, LeTrot. Cette opération est "inadaptée à l’évolution des ressources de France Galop et aux retombées économiques escomptées", tranche, pour sa part, la Cour des comptes.



source : capital




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